Le Piano de Vincent
MUSIQUE ET RESILIENCE

MUSIQUE ET RESILIENCE

Novembre 2023

La résilience est un terme à la mode, et il serait souhaitable que les activités qui en sont une source fassent l’objet d’une attention toute particulière. Les arts d’une manière générale mais la musique en particulier sont source de résilience. Peut on faire l’impasse sur ce potentiel de l’art et jouer le statu quo dans un monde et une humanité bouleversés par les changements ?

La musique et le cerveau

D’après Boris Cyrulnik, la résilience, c’est la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme. Ce développement mobilise nombre de leviers – neurologique, affectif, psychologique, socioculturel –, et repose sur l’identification de deux familles de facteurs : ceux de protection et ceux de vulnérabilité. L’art en général est un facteur de protection et de résilience précieux car il permet de faire dire à un tiers (comédien, héros de roman) ce qu’on n’ose pas ou ne peut pas exprimer. Et la musique l’est particulièrement car elle sollicite le toucher. Elle n’est pas un son mais une palpation, elle est un langage corporel riche d’une formidable propriété sensorielle. Elle sculpte le cerveau et s’y imprègne plus profondément que la parole. Écouter de la musique c’est être caressé ou secoué, alors que les autres arts, notamment la peinture ou la parole, sont plus abstraits.(https://www.auditorium-lyon.com/fr/musique-c-est-caresse)

Boris Cyrulnik est un neuropsychiatre et un éminent théoricien du concept de résilience. Il n’est pas musicien mais il est pourtant sensible à la dimension organique de la musique. Si cette dimension peut être appréciable par la simple écoute de la musique, qu’en est il de sa pratique ?! Les effets de la musique sur le cerveau sont des sujets actuels de recherche neuroscientifique et les découvertes sont toutes aussi stupéfiantes les unes que les autres. La pratique de la musique est un véritable feu d’artifice pour le cerveau et l’entraine à une discipline stratégique, l’apprentissage continu.

La musique et le corps

En plus d’avoir des effets sur le cerveau, les émotions et la psychologie profonde, la pratique d’instruments acoustiques a un impact sur le corps du musicien. La plupart des instruments qui font vibrer les hommes ont été créés il y a plusieurs siècles. Sauf quelques améliorations, ils ont conservé leur spécificités qui font que le corps doit s’y plier et s’y adapter. La pratique de la musique fait partie des activités qui permettent de renouer avec une discipline et des instruments historiques. Jouer un répertoire de 1820 sur un instrument qui a 200 ans est une machine corporelle à remonter le temps. Face à mon clavier, qu’est ce qui me différencie alors des conditions du compositeur ayant vécu avant la révolution industrielle ? Aujourd’hui bien des problématiques matérielles sont éludées par une énergie abondante et bon marché. L’initiation à une pratique musicale peut sembler anachronique voire barbare à certains égards, mais pourrait finalement s’avérer très résiliente.

Résilience culturelle

Vers une résilience de nos désirs à travers la musique ?

Les stimulations que la musique provoque sur notre cerveau sont stupéfiantes. Il n’est pas rare que je me surprenne à mon piano aux commandes d’un Prélude de Rachmaninov ou d’une Etude de Liszt à ressentir les sensations éprouvées au volant d’une voiture de sport gonflé(e) à bloc. Je suis d’un naturel plutôt sobre (je limite la viande, mange bio, roule au bio gaz…) mais je suis humain. Et à ce titre non inhibé dans toute sorte de désirs et pulsions, dont celui de puissance. Pourtant, appuyer sur l’accélérateur d’un bolide ne m’inspire pas pour des raisons rationnelles d’impact. En revanche, je prends un véritable plaisir à lâcher la bride lorsque j’enfourche un étalon à corde… Et je vous garantis que tout le monde en ressort gagnant : mon cerveau, mon corps (risque d’accident), mon portefeuille (piano du conservatoire) et l’environnement…la clé étant d’être en très bon terme avec ses voisins !

Vers une résilience de nos aspirations à travers la musique ?

Les désirs d’évasion sont également très humains, même s’ils sont plus fréquents et plus généralisés depuis quelques décennies. Mais toi qui lis ces lignes, tu es conscient que le plus beau et bouleversant des voyages est intérieur. Celui qui fait le tour du monde et qui ne prend pas la peine de faire voyager en lui chaque détail de son périple gagnerait à réduire son trajet et accroitre son introspection. La musique est un catalyseur d’ouverture et de connaissance de soi. Elle est une langue qui se parle avec tout son corps, de la tête aux pieds, du neurone à l’intestin, elle met en vibration l’ensemble de l’être. De la vibration à la résonance il n’y a qu’un pas que les musiciens franchissent allègrement pour découvrir de nouveaux horizons. Même si certains styles semblent cantonnés (musique classique, jazz, rock, pop…), la vibration est commune et les cantons ne sont que de l’ordre de la raison. La résonance, elle, ne raisonne pas elle vibre.

Vers une résilience de l’être par la musique ?

Le musicien travaille sur lui en contrôlant son corps pour s’adapter au mieux à l’instrument. Il est également amené à maîtriser ses émotions pour coller à celles insufflées par le compositeur dans la partition. C’est par ce biais que le musicien est amené à s’ouvrir. Il apprend à se connaitre toujours mieux, en creusant son humanité dans tout ce qui la compose, de blanc et de noir, de beau et de laid, de rude et de doux. C’est par le biais de cette connaissance que l’appréciation et l’amour peuvent naître. C’est par ce biais que le musicien peut apprendre à aimer mieux l’humanité. Quel beau voyage en préambule que celui là, l’exploration et la découverte d’une humanité parfois insoupçonnée et cachée dont la méconnaissance est souvent source d’angoisse et d’anxiété.

Mais le plus beau c’est que le voyage ne s’arrête pas là ! il ne fait que commencer car la connaissance de soi n’est qu’un préalable. Quel pilote prendrait plaisir à piloter un engin dont il ne connait pas les manettes ?! Une fois l’environnement cartographié, le gps activé et tous les voyants au vert, le véritable voyage peut commencer. Pour le musicien qui est allé au bout du travail qui consiste à former une unité sonore entre sa sensibilité, son corps et l’instrument, combien de vie faut il pour faire le tour du répertoire et du possible ?

Vers une résilience de l’humanité dans la musique ?

Combien de vies nécessaires à épuiser les torrents de musique déversés par des siècles de créations, d’émotions et de sensibilités humaines ? Combien de vie nécessaires à épuiser la musique qui finit souvent par jaillir de sa propre existence telle une résurgence. La musique comme un flot continu et sans fin qui traverse le temps, l’espace, et les espèces. Quelle a été la première espèce d’hominidé à chanter ? à imiter les oiseaux ou le bruit du vent dans le feuillage ? Le chant est il apparu avant la parole ? Nous n’aurons probablement jamais de réponse à ces questions. Ce qui est sûr en revanche c’est que la musique et le sentiment musical sont toujours vivants et qu’ils ont le pouvoir de nous faire vibrer et exister. Auront nous la sagesse de faire de la musique et de l’Art en général les sémaphores de notre évolution ?…

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